Chapitre 25
Gill esquiva par réflexe les créatures qui lui sautaient à la gorge. Il n’eut que le temps de brandir sa rapière avant que les trois monstres ne se rassemblent pour une nouvelle attaque ! Le garçon n’avait jamais vu quelque chose d’aussi repoussant. Ces bêtes avaient bien le pelage et la queue d’un gros rat, mais leur face et leurs membres étaient pour moitié ceux d’un vieillard. Leurs pattes antérieures étaient terminées par de petits pieds blanchâtres. Leur museau n’était qu’un nez plus ou moins étiré. Et les sourcils qu’ils fronçaient avec haine leur donnaient une expression tout à fait humaine ! Le plus gros chercha à lui mordre la jambe, et Gill eut bien du mal à lui faire lâcher sa botte. Les deux autres en profitèrent aussitôt pour bondir à son cou. Le garçon repoussa l’un d’un coup de griffe, mais fut obligé de transpercer le dernier de sa lame. Les cris aigus du monstre blessé lui soulevèrent le cœur. On aurait cru la voix d’un mourant ! Gill se demanda quelle horrible malédiction avait pu créer ces bêtes répugnantes, avant de se rappeler sa propre transformation. Tous ces hommes-rats descendaient-ils d’un monstre engendré par la perle ? Était-ce le sort qui l’attendait ? Il n’avait pas le temps d’y réfléchir. Le reste de ses poursuivants n’était pas loin, et il avait déjà bien assez de mal à tenir trois monstres à distance pour attendre les autres !
Ne pouvant plus compter sur ses propres ressources, Gill fit appel à sa force d’homme-chat pour bondir au-dessus des créatures. Il s’envola dans un saut d’une souplesse exceptionnelle. Ses nouvelles capacités n’arrêtaient pas de l’étonner !
Il n’était pas tiré d’affaire pour autant. Les rats le traquaient toujours, de plus en plus nombreux, de plus en plus hargneux, comme une foule déchaînée à la poursuite d’un voleur d’enfants. Quatre nouveaux monstres surgirent soudain devant le garçon, qui bifurqua. Le piège se resserra un peu plus loin, où cinq rats géants s’étaient placés en embuscade. Gill s’élança dans la première ruelle venue en priant pour qu’elle ne se finisse pas en cul-de-sac…
C’était tout comme. Une vingtaine de créatures attendaient, dissimulées derrière un pan de mur effondré. Elles étaient trop nombreuses pour que le garçon puisse sauter au-dessus d’une telle masse… En se retournant, il découvrit sans surprise que la retraite était coupée par un autre groupe. Leur piège avait parfaitement fonctionné !
Les deux bandes s’avancèrent en même temps, criant et couinant dans un vacarme insoutenable. Gill en avait des sueurs froides. Comment allait-il se sortir de là ? Il avait toujours la perle, bien sûr, mais… Si seulement les murs qui l’encerclaient n’étaient pas si hauts !
Le désespoir lui fît tenter le tout pour le tout. Il rengaina son épée et s’abandonna complètement à son instinct de chat. Son sang parut bouillir dans ses veines. Alors, avec une volonté farouche, il se lança à l’assaut de la paroi.
Une grande clameur monta de la meute des rats quand il eut franchi les premiers mètres. Tous les monstres se réunirent au pied du mur, mais la pente était trop raide pour eux. Même en grimpant les uns sur les autres, ils n’arrivaient pas assez haut ! Les griffes de Gill s’accrochaient à la pierre comme le plus sûr des piolets. Ses muscles fournissaient un effort dont il ne se serait jamais cru capable. Le garçon se hissait grâce à la puissance de ses membres, au mépris des lois de la gravité, motivé par un instinct de survie purement animal. À ce stade de sa transformation, seul un petit restant d’humanité l’empêchait de pousser des rugissements vengeurs. Il parvint en haut de la muraille sans avoir glissé une fois et n’eut aucun mal à se rétablir sur les créneaux. Son regard embrassa alors les hauteurs de Massara. Dire que le Coquillage ne se trouvait qu’à quelques centaines de mètres…
La solution lui parut soudain évidente. Les toits ! Il n’avait qu’à poursuivre par les toits ! Les rats formaient maintenant une véritable armée, qui grondait à chaque fois que Gill apparaissait sur le bord d’une corniche ou sur le faîte d’un palais. Le garçon savait qu’il risquait la mort au moindre faux pas, mais il n’avait pas peur. L’esprit du félin l’avait envahi. Il se sentait libre, maître des éléments et de son destin. Il ne voyait même plus très bien pourquoi il fallait interrompre sa métamorphose… Son œil fendu repéra soudain la silhouette de Menesis dans une cour fermée, vingt mètres en dessous. En deux bonds, Gill gagna le balcon le plus proche. Dans un dernier saut, il plongea d’une hauteur vertigineuse ; sa chute dura plusieurs secondes…
Il atterrit à quatre pattes et sans se faire le moindre mal.
En l’apercevant, l’astrologue poussa un cri qui résonna dans toute la cour.
A l’extérieur, les rats reprirent son hurlement.